Pourquoi la question du gérant salarié est stratégique pour une PME
Au moment de créer ou de réorganiser une PME, le choix du statut du dirigeant est souvent traité comme une « formalité juridique ». C’est une erreur. Entre gérant salarié, gérant TNS (travailleur non salarié), président de SAS assimilé salarié… le statut de direction a un impact direct sur :
- le coût global de la rémunération du dirigeant,
- le niveau de protection sociale (maladie, retraite, chômage),
- la capacité à attirer des profils de direction,
- la gouvernance et la répartition des pouvoirs,
- la perception des investisseurs et des banques.
Avant de cocher la case « gérant salarié » dans vos statuts, il faut donc poser une vraie grille d’analyse. L’objectif : aligner le statut du dirigeant avec la stratégie et la trajectoire de votre PME, pas juste avec ce qui semble « simple » sur le moment.
Gérant salarié : de quoi parle-t-on exactement ?
Le terme « gérant salarié » est souvent utilisé de façon un peu floue. Dans la pratique, on parle surtout :
- du gérant minoritaire ou égalitaire de SARL/EURL, qui est assimilé salarié au regard de la Sécurité sociale,
- du président de SAS/SASU, lui aussi assimilé salarié, même s’il ne porte pas le titre de « gérant ».
Dans la suite de l’article, on regroupera ces situations sous l’étiquette « gérant salarié », par opposition au gérant majoritaire TNS de SARL/EURL (affilié à la Sécurité sociale des indépendants), souvent moins coûteux mais moins protégé.
Point clef : le « gérant salarié » est assimilé salarié. Il n’a pas droit à l’assurance-chômage classique (Pôle emploi), sauf cas particuliers (cumul mandat/contrat de travail très encadré), mais il bénéficie du régime général pour la maladie, la retraite de base et complémentaire, les allocations journalières…
Avantages du gérant salarié pour une PME
Pourquoi de plus en plus de PME basculent vers un modèle de gérant ou président assimilé salarié ? Parce qu’il apporte plusieurs avantages très concrets.
Une protection sociale plus lisible et souvent plus protectrice
Dans la très grande majorité des cas, le régime assimilé salarié offre une meilleure couverture que le régime TNS :
- remboursement des soins sur le régime général,
- meilleure retraite complémentaire (surtout sur les revenus élevés),
- indemnités journalières plus confortables en cas d’arrêt de travail,
- possibilités plus larges sur la prévoyance et la mutuelle collectives.
Pour un dirigeant qui a une famille, un crédit immobilier, un niveau de revenus significatif, cette sécurité supplémentaire n’est pas un luxe. Beaucoup de dirigeants TNS réalisent trop tard qu’ils sont mal couverts et doivent « rattraper » en souscrivant des contrats privés coûteux (Madelin, prévoyance, etc.).
Exemple terrain : un dirigeant de PME industrielle facturait 4 000 € nets par mois en tant que gérant majoritaire TNS. En simulant une bascule en président de SAS assimilé salarié, la cotisation globale augmentait de près de 40 %, mais sa retraite projetée gagnait environ 800 € bruts par mois et sa prévoyance était intégrée dans un contrat collectif plus avantageux.
Une image plus « classique » pour recruter ou ouvrir le capital
Le statut assimilé salarié est plus aligné avec les standards des cadres dirigeants. Pour convaincre un directeur commercial senior, un DAF expérimenté ou un directeur d’usine de rejoindre une PME, lui proposer :
- un CDI + mandat social avec statut assimilé salarié,
- une rémunération fixe + variable,
- des avantages classiques (mutuelle cadre, prévoyance, PEE, PERCO…),
sera généralement plus simple que de lui expliquer qu’il devra passer TNS dans une SARL familiale.
De la même manière, certains investisseurs (fonds, family offices) sont plus à l’aise avec une gouvernance de type SAS avec un président assimilé salarié, un pacte d’associés et des organes de contrôle, plutôt qu’une SARL très « propriétaire » avec un gérant majoritaire TNS difficilement remplaçable.
Un cadre plus ferme pour séparer rémunération et dividendes
Le statut de gérant salarié pousse naturellement à distinguer :
- une rémunération de gestion (salaire du mandat social),
- une rémunération du capital (dividendes).
Cette séparation est saine :
- pour la lisibilité des comptes (la paye du dirigeant est intégrée en charges de personnel),
- pour la relation avec les associés minoritaires (ce qui relève du travail vs ce qui relève de l’investissement est plus clair),
- pour discuter avec la banque (marge, EBE, capacité de remboursement plus facilement analysable).
Dans une PME qui commence à structurer sa gouvernance, ce cadre permet de réduire les conflits entre associés : on se met d’accord sur le « salaire de marché » du dirigeant, puis on arbitre les dividendes selon les résultats.
Inconvénients du gérant salarié : ce que la PME doit assumer
Ces avantages ont un coût. Et ce coût peut devenir un vrai handicap pour certaines PME, surtout en phase de démarrage ou de retournement.
Un coût global significativement plus élevé
À rémunération nette équivalente pour le dirigeant, le coût pour la PME est généralement 20 à 40 % plus élevé avec un statut assimilé salarié que TNS, selon les cas. La différence se joue surtout sur :
- les cotisations sociales patronales plus lourdes,
- la retraite complémentaire cadre,
- certaines contributions spécifiques (AGIRC-ARRCO, etc.).
Illustration simplifiée (ordres de grandeur, hors situation particulière) :
- Gérant TNS : pour obtenir ~3 000 € nets, le coût total pour l’entreprise peut tourner autour de 4 500 €.
- Gérant salarié assimilé : pour le même net, le coût total peut dépasser 5 500 € voire 6 000 €.
Sur une année, l’écart représente plusieurs dizaines de milliers d’euros. Pour une PME avec une trésorerie tendue, c’est loin d’être anecdotique.
Une flexibilité moindre sur l’ajustement de la rémunération
Le statut de gérant salarié implique une logique de bulletin de salaire régulier. Bien sûr, la rémunération du dirigeant peut être ajustée, mais :
- les variations brutales d’un mois à l’autre sont peu cohérentes,
- des baisses temporaires peuvent poser problème si vous avez un contrat de travail cumulé au mandat,
- les organismes sociaux peuvent se montrer vigilants si la rémunération est jugée « anormale » par rapport à la fonction.
En TNS, la pratique est souvent plus souple : le dirigeant peut lisser sa rémunération sur l’année en fonction de la trésorerie, se verser moins pendant les creux d’activité et se rattraper ensuite. Ce n’est pas toujours idéal d’un point de vue personnel, mais c’est parfois ce qui sauve la boîte.
Un faux sentiment de sécurité sur le chômage
Beaucoup de dirigeants assimilés salariés pensent qu’ils auront droit au chômage comme n’importe quel salarié… Ce n’est pas le cas, sauf situation très spécifique de cumul valide mandat + contrat de travail subordonné et reconnu comme tel (ce qui reste rare et juridiquement fragile).
Résultat :
- la PME paie des cotisations lourdes,
- le dirigeant est mieux couvert sur la maladie et la retraite,
- mais en cas de révocation ou de départ, il n’a généralement pas d’indemnisation Pôle emploi.
Si la sécurité en cas de perte de poste est un sujet, il faut alors regarder les assurances privées chômage du dirigeant (GSC, APPI, etc.), qui représentent un coût additionnel non négligeable.
Les 5 questions à se poser avant de choisir le statut de gérant
Plutôt que de raisonner en « pour » ou « contre » le gérant salarié, il est plus utile de poser une série de questions structurantes. Voici une grille utilisée dans plusieurs missions de conseil auprès de PME.
Quel est le niveau de risque personnel accepté par le dirigeant ?
Si le dirigeant est prêt à accepter :
- une protection sociale plus faible,
- mais plus de revenus nets à court terme,
le TNS peut rester une option crédible, surtout en phase de lancement. À l’inverse, si la priorité est la sécurité (santé, retraite, prévoyance) et la visibilité personnelle, le statut assimilé salarié est cohérent, même s’il « rogne » la capacité d’autofinancement de la PME.
Quelle est la trajectoire de la PME sur 3 à 5 ans ?
Le choix n’est pas gravé dans le marbre. On voit souvent des trajectoires :
- Lancement : gérant majoritaire TNS, faible rémunération, optimisation de la trésorerie.
- Croissance et structuration : passage en SAS, président assimilé salarié, ouverture du capital à des cadres clés ou à des investisseurs.
Si vous savez déjà que vous allez devoir structurer votre gouvernance, recruter un comité de direction, préparer une levée de fonds, il peut être pertinent d’anticiper le passage à un statut assimilé salarié.
Y a-t-il des associés minoritaires ou des investisseurs ?
Avec des associés non opérationnels (investisseurs individuels, fonds, héritiers…), la transparence sur la rémunération du dirigeant est essentielle.
Le statut de gérant salarié, avec un salaire affiché sur un bulletin, peut faciliter :
- la négociation de la rémunération dans un pacte d’associés,
- l’indexation d’une partie variable sur des indicateurs (EBE, CA, résultat net),
- le contrôle par un conseil de surveillance ou un board.
Côté banque, la présence d’un président assimilé salarié avec un package clair peut aussi être vue comme un signe de structuration de la gouvernance.
Quel est le profil du dirigeant (ou à recruter) ?
Un fondateur entrepreneur, habitué à prendre des risques, sans charges personnelles lourdes, pourra vivre plus facilement avec le régime TNS. Un dirigeant recruté sur le marché, avec un passé de cadre dans de grands groupes, sera en général beaucoup plus réceptif à :
- un statut assimilé salarié,
- des avantages cadres « classiques »,
- un package global lisible (fixe + variable + éventuellement actions ou BSPCE).
Si votre stratégie repose sur l’attraction de talents de direction externes, le statut de gérant salarié est souvent un passage obligé.
Quel est l’impact réel sur votre capacité d’investissement ?
La question clé n’est pas « combien ça coûte de plus », mais : « ce surcoût met-il en danger ma capacité d’autofinancement et d’investissement ? »
Dans la pratique, lors d’accompagnements de PME, on observe trois cas typiques :
- Pierre angulaire fragile : chaque euro compte, le surcoût de 15 à 30 k€ par an compromet un recrutement clé, un plan marketing ou la R&D. Dans ce cas, rester TNS peut être rationnel, au moins temporairement.
- Zone grise : le surcoût est significatif mais absorbable. On arbitre alors entre sécurité du dirigeant et vitesse de développement, souvent avec des scénarios de bascule programmée.
- PME solide : la capacité d’autofinancement est confortable, le choix se fait plutôt sur les enjeux de gouvernance, d’image et de recrutement. Le surcoût est vu comme un investissement dans la structuration.
Méthode en 4 étapes pour trancher sans se tromper
Passons au « comment faire concrètement dès demain ». Voici une méthode simple pour arbitrer entre gérant salarié et TNS dans votre PME.
Étape 1 : faire 2 à 3 simulations chiffrées précises
Demandez à votre expert-comptable de produire au moins deux scénarios complets :
- Scénario A : Dirigeant TNS (gérant majoritaire SARL), rémunération nette cible, cotisations, coût total pour l’entreprise.
- Scénario B : Dirigeant assimilé salarié (président SAS ou gérant minoritaire), même net cible, cotisations, coût total pour l’entreprise.
- Éventuellement un Scénario C avec une rémunération plus faible mais un package complémentaire (prévoyance, épargne salariale, etc.).
Objectif : voir noir sur blanc l’impact sur :
- la trésorerie mensuelle,
- le résultat net,
- l’EBE et les ratios financiers suivis par la banque.
Étape 2 : cartographier les besoins de protection du dirigeant
Listez factuellement :
- les charges financières personnelles (crédits, famille, etc.),
- le niveau de vie minimal souhaité,
- les risques à couvrir (maladie, invalidité, décès, retraite, chômage).
Faites ensuite comparer les couvertures TNS vs assimilé salarié par un courtier ou conseil indépendant. Parfois, un TNS bien couvert par des contrats adaptés se rapproche du niveau de sécurité d’un assimilé salarié, avec un coût global encore inférieur. Parfois, c’est l’inverse.
Étape 3 : intégrer les enjeux de gouvernance et de développement
Posez-vous deux questions très opérationnelles :
- « Vais-je devoir faire entrer des cadres dirigeants au capital ou recruter un CODIR dans les 3 ans ? »
- « Ai-je prévu une levée de fonds, une transmission ou un adossement ? »
Si la réponse est oui à l’une de ces questions, le passage à une structure de type SAS avec président assimilé salarié s’impose souvent comme un standard de marché. Mieux vaut anticiper que bricoler dans l’urgence lors d’une levée de fonds ou d’une transmission.
Étape 4 : formaliser une trajectoire plutôt qu’un choix figé
Plutôt que de choisir « pour la vie », définissez une trajectoire :
- Phase 1 (0–2 ans) : TNS pour préserver la trésorerie, avec seuils chiffrés de bascule (CA, EBE, trésorerie).
- Phase 2 (2–5 ans) : passage en assimilé salarié dès que les indicateurs sont atteints, avec négociation d’un package aligné sur le marché.
Inscrivez cette trajectoire dans votre pacte d’associés et partagez-la avec votre expert-comptable et votre banquier. Cela donne de la visibilité et évite les débats récurrents au gré des résultats.
En résumé : un choix d’équilibre, pas de dogme
Le gérant salarié n’est ni la solution miracle, ni une hérésie coûteuse. C’est un outil de structuration qui :
- coûte plus cher mais sécurise mieux le dirigeant,
- facilite le recrutement et l’ouverture du capital,
- clarifie la gouvernance et la rémunération de la direction.
Pour une PME, l’enjeu est de savoir à quel moment ce surcoût devient un investissement rentable au regard de sa trajectoire. En posant quelques chiffres, en prenant en compte les besoins réels du dirigeant et les projets de développement, le choix devient beaucoup moins théorique… et beaucoup plus stratégique.


