Quand on passe en statut TNS (travailleur non salarié), on découvre vite deux choses : la liberté de se payer « à la carte »… et la complexité du système de cotisations. Entre rémunération, dividendes, protection sociale et retraite, les arbitrages sont nombreux. Et une mauvaise stratégie peut facilement vous coûter plusieurs milliers d’euros par an.
L’objectif de cet article : passer en revue, de façon pragmatique, les principaux leviers d’optimisation possibles pour un dirigeant TNS (gérant majoritaire de SARL/EURL, associé de SELARL, entrepreneur individuel, gérant d’EI à l’IS, etc.), avec une seule question en tête : comment augmenter réellement votre revenu net disponible, sans sacrifier votre protection ni mettre votre entreprise en danger ?
Rappel express : ce que change (vraiment) le statut TNS
Avant d’optimiser, il faut comprendre sur quoi on joue. Le statut TNS présente trois caractéristiques clés :
- Des cotisations sociales plus faibles que pour un assimilé salarié (gérant minoritaire de SARL, président de SAS…), en moyenne 35 à 45 % de la rémunération nette imposable, contre 70 à 80 % pour un assimilé salarié.
- Une protection sociale moins généreuse (indemnités journalières, retraite de base et complémentaire, prévoyance) si vous ne la complétez pas.
- Une grande souplesse de rémunération : montant modulable, possibilité de combiner rémunération, dividendes, avantages en nature, etc.
Dit autrement : le statut TNS est une base intéressante pour optimiser vos revenus… à condition de piloter activement vos cotisations et votre niveau de protection.
Premier levier : calibrer votre rémunération TNS au bon niveau
La première erreur classique : se payer « le minimum » pour payer moins de charges. Sur le papier, c’est séduisant. Dans la réalité, c’est souvent une très mauvaise idée, pour au moins trois raisons.
- Votre retraite future se calcule sur vos revenus déclarés. En dessous de certains seuils, vous ne validez même pas vos trimestres.
- En cas d’arrêt maladie ou d’accident, des revenus trop bas signifient des indemnités journalières dérisoires.
- En cas de contrôle, une rémunération anormalement basse peut attirer l’attention de l’URSSAF, surtout si vous vous versez par ailleurs beaucoup de dividendes.
Un bon point de départ consiste à définir un « socle de rémunération TNS » qui coche trois cases :
- Valider 4 trimestres de retraite par an.
- Assurer un niveau d’indemnisation correct en cas d’arrêt.
- Rester soutenable pour la trésorerie de l’entreprise.
À titre indicatif, en 2025, il faut environ 7 500 € de revenus annuels pour valider 4 trimestres de retraite au régime général (montant réévalué chaque année). Mais viser simplement ce seuil ne suffit pas : en-dessous d’un certain niveau, vos droits restent très faibles. En pratique, beaucoup de dirigeants TNS adoptent une approche plus ambitieuse : caler leur rémunération annuelle au moins autour du PASS (plafond annuel de la Sécurité sociale, un peu plus de 46 000 € en 2025), qui sert de base de calcul à de nombreux droits.
Approche pragmatique : commencez par calculer votre coût de vie annuelle (charges perso + marge de sécurité), puis vérifiez quel niveau de rémunération TNS permet de le couvrir, en tenant compte de votre fiscalité et éventuellement d’une part de dividendes. Ce n’est qu’ensuite qu’on parle d’optimisation.
Deuxième levier : arbitrer intelligemment entre rémunération et dividendes
Autre question récurrente chez les dirigeants TNS en société à l’IS (SARL, SELARL, EURL, EI à l’IS) : vaut-il mieux se payer en rémunération ou en dividendes ?
Les règles clés à garder en tête :
- La rémunération TNS supporte des cotisations sociales d’environ 35 à 45 % et est imposée à l’IR dans la catégorie traitements et salaires (avec abattement 10 % ou frais réels).
- Les dividendes des TNS (gérants majoritaires de SARL, SELARL, etc.) sont soumis aux cotisations sociales pour la part qui dépasse 10 % du total suivant : capital social + primes d’émission + compte courant d’associé.
- Les dividendes sont, par défaut, soumis au PFU (prélèvement forfaitaire unique) de 30 % (12,8 % d’IR + 17,2 % de prélèvements sociaux), sauf option pour le barème progressif.
En clair, si votre société est peu capitalisée et que vos comptes courants sont faibles, une grande partie de vos dividendes tombera dans le champ des cotisations sociales. Dans ce cas, le différentiel avec une rémunération TNS devient beaucoup moins intéressant.
Exemple chiffré rapide (ordres de grandeur, hors spécificités) :
- SARL soumise à l’IS, gérant majoritaire, bénéfice disponible : 60 000 €.
- Hypothèse 1 : vous prenez tout en rémunération TNS. Coût global en charges sociales : environ 40 %. Revenu net avant IR : ~36 000 €.
- Hypothèse 2 : vous ne prenez que 24 000 € en rémunération (pour valider vos droits et couvrir vos besoins de base), le reste en dividendes.
- Si votre capital + compte courant ne permettent de « couvrir » que 5 000 € à 10 % sans charges sociales, tout le surplus est assujetti à cotisations + PFU. L’écart de net disponible avec la première hypothèse devient vite marginal, tout en dégradant vos droits sociaux.
Bonne pratique : réaliser, chaque année, un arbitrage chiffré avec votre expert-comptable, en intégrant :
- Votre tranche marginale d’imposition.
- Votre besoin de protection sociale (retraite, indemnités).
- La structure du capital et les comptes courants.
- Votre stratégie patrimoniale personnelle (besoin de cash vs. capitalisation en société).
Troisième levier : compléter intelligemment votre protection sociale (Madelin & co.)
Un TNS qui ne fait « rien » en matière de protection sociale complémentaire prend un risque majeur. Les régimes de base assurent le minimum syndical. Résultat : vous économisez quelques milliers d’euros de cotisations… jusqu’au jour où un problème de santé, un accident ou une incapacité de travail vient percuter votre revenu.
Les contrats Madelin et dispositifs équivalents permettent de combler cette faiblesse, avec un double avantage :
- Améliorer réellement votre protection.
- Bénéficier d’une déductibilité fiscale et sociale (dans certaines limites).
Les trois briques prioritaires pour un TNS :
- La prévoyance : maintien de revenu en cas d’arrêt de travail, invalidité, décès. C’est souvent la priorité n°1, surtout si vous avez des charges fixes perso (crédit, loyer, famille).
- La complémentaire santé : pour lisser vos dépenses de santé, notamment si vous avez des besoins réguliers (optique, dentaire, etc.).
- La retraite complémentaire / l’épargne retraite : PER individuel, ancien contrat Madelin… pour compenser l’insuffisance probable de votre retraite obligatoire.
Exemple : un gérant TNS avec 60 000 € de revenus annuels consacre 5 000 € par an à des contrats Madelin (prévoyance + retraite). Ces 5 000 € sont déductibles de son bénéfice imposable (dans la limite des plafonds). À une TMI de 30 % + charges sociales, l’effort net réel peut tomber autour de 2 500 à 3 000 € pour 5 000 € de cotisations. La différence finance à la fois de la protection et de l’épargne longue.
Approche recommandée :
- Commencer par sécuriser la prévoyance (priorité absolue).
- Ensuite, calibrer la complémentaire santé selon vos besoins réels (éviter la sur-couverture inutilement coûteuse).
- Enfin, utiliser les enveloppes disponibles pour l’épargne retraite, en visant un taux d’effort progressif (par exemple 5 % de vos revenus, puis 10 %).
Quatrième levier : choisir le bon régime fiscal (IR ou IS) et la bonne enveloppe
Pour les TNS en entreprise individuelle ou en EURL, le choix entre IR et IS est un axe structurant d’optimisation.
À l’IR (impôt sur le revenu) :
- Le bénéfice est imposé directement à votre nom, dans la catégorie BIC/BNC.
- Vous payez vos cotisations sociales sur le bénéfice, même si vous ne vous versez pas tout en trésorerie personnelle.
- Intéressant lorsque les bénéfices sont modestes, ou quand on génère peu de trésorerie excédentaire à réinvestir dans la structure.
À l’IS (impôt sur les sociétés) :
- La société paye l’impôt sur le bénéfice (avec un taux réduit sur la première tranche, sous conditions).
- Vous ne payez des cotisations sociales que sur votre rémunération, pas sur l’intégralité du bénéfice.
- Vous gardez éventuellement une partie du bénéfice en réserve dans la société pour financer le développement, réduire le besoin d’endettement, etc.
Pour un dirigeant TNS, le passage à l’IS devient souvent pertinent lorsque :
- Le bénéfice dépasse largement vos besoins de revenus personnels.
- Vous avez des projets d’investissement ou de croissance.
- Vous êtes dans une tranche marginale d’imposition élevée.
À l’inverse, rester à l’IR peut conserver du sens si :
- Votre bénéfice est modéré et quasi intégralement consommé par vos besoins perso.
- Votre TMI reste faible (11 % ou 30 % maximum).
- Vous ne cherchez pas à capitaliser en société.
Il n’y a pas de règle universelle, mais un simul IR vs IS sur 3 à 5 ans, avec votre expert-comptable, est souvent riche d’enseignements… et peut justifier une option ou un changement de structure.
Cinquième levier : piloter vos revenus dans le temps (lissage et anticipation)
L’un des atouts du statut TNS est la souplesse : vous pouvez moduler significativement vos revenus d’une année sur l’autre. Utilisé intelligemment, cela permet :
- De lisser votre imposition dans le temps.
- D’éviter les « pics » de revenus qui vous font passer dans une tranche d’imposition supérieure.
- D’optimiser votre trésorerie personnelle et celle de l’entreprise.
Exemple de stratégie de lissage :
- Année 1 : excellente année, bénéfice élevé, trésorerie confortable. Plutôt que de tout sortir en revenus TNS et dividendes, vous vous fixez une enveloppe de rémunération raisonnable et laissez une partie en réserve.
- Année 2 : activité plus faible, commande importante reportée, cash un peu sous tension. Vous maintenez votre niveau de vie grâce à un mix : rémunération ajustée + éventuellement distribution de dividendes prélevés sur les réserves précédentes.
Ce pilotage suppose :
- Un minimum de prévisionnel sur 12 à 24 mois.
- Un dialogue régulier avec votre expert-comptable (au moins un point de pilotage trimestriel ou semestriel).
- Une discipline pour ne pas « tout consommer » en année fast.
En parallèle, pensez à utiliser les dispositifs fiscaux de lissage disponibles pour les indépendants à l’IR (ex : moyennisation des bénéfices pour certaines professions, sous conditions), même si leur champ reste limité.
Sixième levier : organiser votre patrimoine perso/pro pour limiter la pression globale
L’optimisation de vos revenus TNS ne se joue pas uniquement dans la société. Elle passe aussi par la structuration de votre patrimoine personnel :
- Holding : dans certains cas, détenir vos titres via une holding permet de remonter les dividendes de votre société d’exploitation à fiscalité allégée (régime mère-fille), puis de choisir quand et comment vous les sortez vers votre patrimoine personnel.
- Investissements via la société : certains investissements (immobilier d’entreprise, matériel, R&D, recrutement clé) peuvent être réalisés au niveau de la société, avec des effets fiscaux (amortissements, charges déductibles) qui améliorent indirectement votre revenu disponible à moyen terme.
- Arbitrage perso / pro : parfois, payer une dépense via la société (quand c’est légitime et conforme) plutôt que sur votre revenu net personnel est plus efficace. Exemple : véhicule utilisé majoritairement à des fins professionnelles, certains abonnements, frais de déplacement, etc.
Attention toutefois : l’optimisation doit toujours respecter deux lignes rouges :
- La réalité de l’usage professionnel (sinon, redressement assuré).
- La lisibilité de vos comptes, notamment en cas de cession, de recherche de financement ou de contrôle.
Cas pratique : comment un gérant TNS a gagné 8 000 € net par an sans changer de chiffre d’affaires
Illustrons avec une situation réelle (cas anonymisé) d’un gérant majoritaire de SARL de services B2B, 550 000 € de chiffre d’affaires, 110 000 € de bénéfice avant rémunération du dirigeant.
Situation initiale :
- Rémunération TNS : 24 000 € bruts par an (par peur des charges).
- Dividendes : 60 000 € distribués chaque année.
- Capital social : 10 000 €, compte courant d’associé : 5 000 €.
- Peu ou pas de prévoyance, épargne retraite quasi inexistante.
Problèmes identifiés :
- Une grande partie des dividendes dépasse le seuil des 10 % (10 % de 15 000 € = 1 500 € seulement « protégés ») et se retrouve assujettie aux cotisations sociales + PFU.
- Des droits retraite très faibles, un risque majeur en cas d’arrêt de travail.
- Une fiscalité globale (IR + PFU + cotisations) élevée au regard du revenu net réellement sécurisé.
Stratégie mise en place :
- Augmentation progressive de la rémunération TNS à 45 000 € par an.
- Réduction des dividendes distribués (passage de 60 000 à 30 000 €) et renforcement des capitaux propres.
- Souscription d’un contrat de prévoyance et d’un PER individuel (total 6 000 € par an, déductibles).
- Passage en IS déjà effectué, maintien de ce choix validé par une simulation sur 5 ans.
Résultat au bout de 12 mois :
- Revenu net disponible (après impôts et cotisations) en hausse d’environ 8 000 €.
- Meilleure couverture en cas d’arrêt (70 % du revenu visé), 4 trimestres de retraite validés dans de meilleures conditions.
- Trésorerie de la société stabilisée, capacité d’investissement renforcée.
Sans toucher au chiffre d’affaires, c’est uniquement le jeu sur la structure de la rémunération, la protection sociale et la fiscalité qui a permis ce gain.
Par où commencer dès maintenant ?
Les pistes d’optimisation du statut TNS sont nombreuses, mais inutile de tout traiter en même temps. L’important est de vous mettre en mouvement avec une méthode claire.
Plan d’action en 6 étapes :
- Cartographier votre situation actuelle : statut juridique, régime fiscal (IR/IS), niveau de rémunération, dividendes, contrats de protection (santé, prévoyance, retraite), besoins perso annuels.
- Fixer vos priorités : maximiser le net immédiat, sécuriser votre famille, préparer la retraite, investir dans l’entreprise… L’ordre des priorités conditionne les arbitrages.
- Calibrer votre socle de rémunération TNS : niveau de vie minimal + droits sociaux corrects (retraite, IJ). Objectif : éviter les « fausses économies » de charges qui vous fragilisent.
- Revoir l’équilibre rémunération / dividendes : simulation avec votre expert-comptable, en intégrant les règles spécifiques aux TNS (dividendes au-delà de 10 % soumis à cotisations).
- Mettre à niveau votre protection sociale : prévoyance en priorité, puis santé, puis retraite complémentaire. Utiliser au mieux les enveloppes de déductibilité (Madelin, PER).
- Construire un pilotage annuel : point de situation 1 à 2 fois par an avec un tableau simple : rémunération, dividendes, impôts, cotisations, épargne perso, besoins à venir (investissements, projets).
Le statut TNS n’est pas un « gadget » fiscal, c’est un cadre qui vous donne une vraie marge de manœuvre pour piloter votre revenu, votre protection et votre patrimoine. Utilisé à l’aveugle, il peut vous exposer. Utilisé avec méthode, il devient un véritable levier de performance personnelle et de robustesse pour votre entreprise.


