mercredi, décembre 17, 2025
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Realiser un bilan carbone : méthode pas à pas pour les pme qui veulent mesurer et réduire leur impact

Pourquoi les PME ne peuvent plus éviter le bilan carbone

Longtemps perçu comme un sujet « de grands groupes », le bilan carbone devient un passage obligé pour les PME. Pas par effet de mode, mais pour trois raisons très concrètes :

  • Les clients le demandent : appels d’offres, donneurs d’ordres, grandes entreprises… De plus en plus exigent des données d’empreinte carbone de leurs fournisseurs.
  • Les coûts augmentent : énergie, transport, matières premières. Ce que vous mesurez, vous pouvez l’optimiser. Le carbone est souvent un bon proxy de vos dépenses.
  • Les financiers s’y mettent : banques, fonds, assureurs intègrent des critères climat dans l’analyse des risques et des conditions de financement.

La bonne nouvelle : un bilan carbone PME n’a pas besoin d’être parfait, ni certifié par un cabinet à 50 000 €. Il doit être utilisable, réplicable et suffisamment solide pour guider vos décisions.

Bilan carbone : de quoi parle-t-on exactement ?

Le bilan carbone mesure les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par l’activité de votre entreprise, généralement exprimées en tonnes de CO₂ équivalent (tCO₂e). On distingue trois grands périmètres, ou « scopes » :

  • Scope 1 : émissions directes sous votre contrôle (par exemple carburant des véhicules de l’entreprise, chaudière au gaz, groupe électrogène).
  • Scope 2 : émissions indirectes liées à l’énergie que vous achetez (électricité, chaleur, vapeur).
  • Scope 3 : tout le reste : achats de matières premières, transport amont et aval, déplacements professionnels, usage et fin de vie de vos produits, numérique, déchets, etc.

Dans les faits, pour une PME, 80 à 90 % des émissions se situent dans le Scope 3, principalement via les achats et les transports. C’est donc un sujet à traiter tôt dans la démarche, même si on commence souvent par les scopes 1 et 2 pour se mettre en route.

Étape 1 : définir le périmètre adapté à votre PME

Avant de se lancer dans les chiffres, il faut répondre à deux questions :

  • Quelles activités intègre-t-on ? (sites, filiales, types de produits ou services)
  • Sur quelle période ? (en général une année civile ou un exercice comptable)

Pour une PME, je recommande de :

  • Inclure 100 % des sites en France (bureaux, ateliers, entrepôts, magasins) pour éviter une photographie tronquée.
  • Se caler sur l’exercice comptable : cela simplifiera l’accès aux données (factures d’énergie, achats, déplacements).
  • Commencer avec un Scope 1 + 2 complet, et un Scope 3 « priorisé » : au minimum achats, transport, déplacements professionnels et numérique.

Exemple réel : une PME industrielle de 70 salariés en région lyonnaise, que j’ai accompagnée, a démarré sur :

  • Tous ses bâtiments en France (atelier + bureaux + entrepôt)
  • Son parc de 12 véhicules utilitaires
  • Ses achats de matières premières (acier, carton, composants)
  • Les transports de marchandises (amont et aval)
  • Les déplacements en train/avion des commerciaux et de la direction

Cela a suffi à identifier 4 actions prioritaires rentables en moins de 18 mois.

Étape 2 : choisir votre méthode et vos outils

Pour rester simple, trois options principales existent pour une PME :

  • Passer par un cabinet spécialisé : pertinent si vous manquez de temps, si vos clients demandent un reporting structuré ou si vos enjeux sont complexes (industrie lourde, logistique internationale).
  • Utiliser une solution logicielle dédiée : de nombreuses plateformes (souvent en SaaS) ont été conçues pour les PME. Elles guident la collecte de données et appliquent automatiquement les bons facteurs d’émission.
  • Faire une première estimation en interne avec des outils simples (Excel + guides ADEME + bases d’émission publiques), pour une première version « bêta ».

En pratique, beaucoup d’entreprises combinent les approches :

  • Une première année en mode « bricolage structuré » pour comprendre les enjeux et les ordres de grandeur.
  • Puis une montée en gamme (outil ou cabinet) quand le sujet devient stratégique pour les clients ou les financeurs.

Critères de choix concrets :

  • Budget disponible (de 0 à 20 k€ selon la voie choisie).
  • Pression externe (clients, réglementation, groupe auquel vous appartenez).
  • Compétences internes : avez-vous un référent RSE / QSE / financier capable de piloter le sujet ?

Étape 3 : organiser la collecte des données sans bloquer votre équipe

C’est souvent là que les choses se compliquent : pour un premier bilan, on sous-estime presque toujours le temps nécessaire pour rassembler les données. L’erreur classique : « on verra au fil de l’eau ». À éviter.

Plan d’attaque recommandé : nommer un chef de projet bilan carbone (même à temps partiel), et définir qui fournit quoi, quand, et sous quel format.

Par typologie de données :

  • Énergie (scope 1 et 2) : factures d’électricité, de gaz, de fioul, relevés de compteurs. Souvent disponibles dans la comptabilité ou la gestion des bâtiments.
  • Déplacements professionnels : notes de frais, relevés des agences de voyage, factures SNCF / compagnies aériennes, kilométrage des véhicules de société.
  • Achats : extraction comptable des achats par famille (matières premières, emballages, prestations logistiques, services numériques).
  • Transport de marchandises : factures transporteurs (avec km ou tonnages si possible), données logistiques internes.
  • Numérique : nombre de serveurs, consommation des data centers (si disponible), nombre de postes informatiques, durée de vie moyenne.

Astuce opérationnelle utilisée dans plusieurs PME que j’ai accompagnées :

  • Créer un tableau partagé (Excel/Drive) listant toutes les données attendues, la période, le format et le « responsable ».
  • Bloquer un créneau de 2 heures par service (finance, RH, logistique, IT, production) pour récupérer 80 % des données en une fois.

Sans ce cadrage, le bilan peut s’étaler sur 9 à 12 mois au lieu de 3 à 4.

Étape 4 : transformer vos données en émissions de CO₂

Une fois les données réunies, il faut les convertir en émissions de GES via des facteurs d’émission. Par exemple :

  • 1 kWh d’électricité en France ≠ 1 kWh d’électricité en Pologne
  • 1 km en voiture thermique ≠ 1 km en voiture électrique
  • 1 tonne d’acier ≠ 1 tonne de carton

Vous pouvez vous appuyer sur :

  • La Base Carbone de l’ADEME (librement accessible).
  • Les bases de données intégrées dans les solutions logicielles.
  • Les données spécifiques fournies par certains fournisseurs (notamment dans l’industrie ou le numérique).

L’objectif, surtout pour une première année, n’est pas d’atteindre une précision au gramme près, mais :

  • D’être cohérent d’une année sur l’autre.
  • D’identifier les « postes lourds » qui concentrent la majorité des émissions.

Retour d’expérience : dans une PME de services de 45 personnes, 3 postes représentaient plus de 80 % des émissions :

  • Les déplacements professionnels en avion
  • Les serveurs hébergés dans un data center étranger
  • Les trajets domicile-travail (estimés par enquête interne)

C’est sur ces 3 postes que l’entreprise a construit son plan d’action, pas sur les gobelets à café.

Étape 5 : analyser et prioriser les actions à fort impact

Un bilan carbone n’a d’intérêt que s’il débouche sur un plan d’actions concret. Pour chaque poste d’émissions significatif, posez-vous trois questions :

  • Volume : quel est le poids de ce poste dans le total (en % de tCO₂e) ?
  • Coût : ce poste représente-t-il aussi un coût significatif pour l’entreprise ?
  • Capacité d’action : avez-vous réellement la main dessus à court terme ?

Un bon plan d’actions PME contient généralement :

  • Des actions « no regret » : rapides, peu coûteuses, avec un effet mesurable (optimisation de tournées, réglages de chauffage, achats d’électricité verte, politique voyages).
  • Des investissements structurants : rénovation énergétique, changement de flotte de véhicules, refonte des emballages, relocalisation partielle des approvisionnements.
  • Des actions d’influence : travail avec les fournisseurs pour faire évoluer les matières ou les modes de transport, sensibilisation des clients à l’usage et la fin de vie des produits.

Pour piloter cela de manière professionnelle, je conseille un tableau simple avec, pour chaque action :

  • Responsable
  • Échéance
  • Budget estimé
  • Économie de CO₂ estimée (même approximative)
  • Économie ou surcoût financier associé

Exemples concrets d’actions rentables vues en PME

Quelques retours terrain, avec ordres de grandeur :

  • Optimisation des tournées de livraison : dans une PME de distribution, un simple travail sur les tournées (logiciel + formation chauffeurs) a réduit de 18 % les kilomètres parcourus en un an, avec une économie de carburant d’environ 35 k€ et une baisse de 70 tCO₂e.
  • Politique voyages revue : une société de conseil de 60 personnes a imposé le train pour tout trajet inférieur à 4 heures et limité les allers-retours dans la journée. Résultat : -40 % d’émissions liées aux déplacements, et une réduction de 20 % de la ligne « voyages » dans le budget.
  • Éclairage et chauffage optimisés : une PME industrielle a remplacé son éclairage néon par des LED et ajusté ses consignes de chauffage de 1°C. Temps de retour sur investissement : 2 ans, avec une baisse de 12 % sur la facture d’électricité et du gaz, et près de 50 tCO₂e évitées par an.
  • Réduction des emballages : un e-commerçant a ajusté ses formats de cartons et supprimé un calage plastique au profit d’un calage papier optimisé. Gain : baisse des coûts d’emballage de 8 %, amélioration de l’image client, et plusieurs dizaines de tCO₂e évitées sur le carton et le transport.

Dans la grande majorité des cas, les premières actions « basiques » sont rentables en moins de 3 ans, parfois quelques mois.

Financer votre démarche : aides et dispositifs à surveiller

Mesurer et réduire votre empreinte carbone peut être financé partiellement. Plusieurs dispositifs existent (les montants et conditions évoluent, mais la logique reste la même) :

  • Aides régionales : certaines Régions proposent des subventions pour les diagnostics carbone ou les investissements de décarbonation (jusqu’à 50 % du coût dans certains cas).
  • Programmes ADEME : chèques diagnostics, accompagnements collectifs sectoriels, appels à projets (en particulier pour l’industrie et la logistique).
  • Banques et Bpifrance : prêts verts, prêts décarbonation, parfois bonifications de taux si vous démontrez une trajectoire carbone crédible.
  • Opérateurs privés : certains fournisseurs d’énergie ou transporteurs co-financent des diagnostics ou des plans d’optimisation (car ils y gagnent aussi en fidélisation et optimisation de leurs propres flux).

Concrètement, avant de lancer un gros projet, prenez 1 à 2 heures pour :

  • Faire un point avec votre banque principale et éventuellement Bpifrance.
  • Contacter votre Région ou votre CCI qui recense souvent les aides disponibles.
  • Vérifier les programmes ouverts sur le site de l’ADEME.

Impliquer vos équipes : un levier souvent sous-exploité

Un bilan carbone peut vite devenir un exercice « de bureau », mené par la direction financière ou RSE, que le reste de l’entreprise ignore. C’est une erreur stratégique : nombre d’actions efficaces viennent du terrain.

Quelques leviers simples :

  • Organiser un atelier de restitution en interne une fois le bilan réalisé, avec les principaux chiffres-clés et 3 ou 4 enjeux majeurs.
  • Lancer un appel à idées par service : « une idée réaliste pour réduire nos émissions sans nuire à la performance ».
  • Intégrer un ou deux indicateurs carbone dans les tableaux de bord de direction (par exemple tCO₂e / M€ de CA, ou tCO₂e par tonne produite).

Dans une PME de 90 salariés, une simple consultation interne a permis d’identifier une optimisation de flux entre deux sites qui a réduit de 25 % les transports inter-sites, sans investissement majeur. Les logisticiens avaient vu le problème depuis longtemps, mais ne l’avaient jamais remonté comme un sujet prioritaire.

Mettre en place un pilotage dans la durée

Le bilan carbone n’est pas un audit que l’on fait une fois tous les 10 ans. Pour en faire un outil de pilotage, je recommande une approche en trois temps :

  • Année 1 : première photographie, même imparfaite. L’objectif est de comprendre les ordres de grandeur, de structurer la collecte de données et d’identifier quelques actions rapides.
  • Année 2 : consolidation des données, élargissement éventuel du scope 3, mise en œuvre des premières actions structurantes et indicateurs de suivi.
  • Année 3 et suivantes : intégration du sujet dans la stratégie (investissements, achats, offre commerciale, relations clients-fournisseurs).

Dans les faits, ce qui fait la différence n’est pas la sophistication de la méthode, mais :

  • La récurrence (mise à jour annuelle).
  • Le lien avec les décisions (Capex, politique voyages, flotte, achats).
  • La capacité à démontrer des résultats : baisse de X % des émissions sur 3 ans, avec à la clé des économies et de nouveaux marchés.

Par où commencer dès cette semaine ?

Pour une PME qui démarre de zéro, la marche peut sembler haute. En réalité, vous pouvez amorcer la démarche en 5 actions très simples :

  • Nommer un référent interne (même à temps partiel) pour piloter le sujet sur 6 à 12 mois.
  • Lister vos 5 postes de dépenses les plus lourds (en montant annuel) : énergie, transport, matières, numérique, bâtiments… Ce sont souvent aussi les plus émetteurs.
  • Planifier une réunion d’1 heure avec votre DAF, votre responsable logistique / opérations et votre responsable IT pour cartographier grossièrement vos futures données carbone.
  • Contacter votre CCI ou votre Région pour vérifier les aides disponibles sur les diagnostics et la décarbonation.
  • Choisir un premier périmètre réaliste pour une photographie initiale à réaliser dans les 6 prochains mois.

Au lieu de viser le bilan parfait, visez un bilan suffisamment bon pour décider. C’est ce qui fera la différence entre une démarche vitrine, et un véritable levier de compétitivité pour votre PME.

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