Économie circulaire, circuits courts, réemploi… On en parle beaucoup, mais sur le terrain, dans les ateliers et les entrepôts, que se passe-t-il vraiment ? De plus en plus de PME transforment ces concepts en modèles économiques rentables, ancrés localement, avec de vrais emplois à la clé.
Dans cet article, je vous propose un zoom sur 5 PME « pépites » qui montrent qu’on peut produire autrement, sans tomber dans la posture marketing. Objectif : vous donner des idées directement actionnables pour votre propre structure, que vous soyez industriel, commerçant, prestataire ou porteur de projet.
Pourquoi ces 5 PME sont intéressantes pour un dirigeant de TPE/PME
Les exemples qui suivent ont été choisis parce qu’ils répondent à trois critères concrets :
- un modèle économique réel (chiffre d’affaires, clients récurrents, emplois locaux) ;
- une logique de circularité opérationnelle (réemploi, réparation, transformation de déchets en ressource, allongement de la durée de vie) ;
- un ancrage territorial fort (partenariats locaux, circuits courts, impact mesurable sur un bassin d’emploi).
Vous verrez qu’aucune de ces PME n’a attendu d’avoir une « stratégie RSE parfaite » pour se lancer. Elles ont démarré petit, testé, itéré, puis structuré leur modèle au fil des contrats.
La Vie est Belt : transformer des déchets locaux en accessoires désirables
Basée près de Lille, La Vie est Belt fabrique des ceintures et accessoires à partir de pneus de vélo et de voiture, de tuyaux d’incendie, ou encore de chutes textiles. L’idée paraît simple : transformer un déchet abondant en produit à forte valeur perçue. Mais derrière, le modèle est finement pensé.
Comment ils réinventent la production locale :
- Approvisionnement ultra-local : les pneus usagés viennent d’ateliers de réparation, de déchetteries et d’acteurs de la mobilité de la région. Moins de transport, plus de relations directes.
- Production en atelier d’insertion : une partie de la fabrication est réalisée via des structures d’insertion ou ESAT, ce qui ancre encore davantage la valeur sur le territoire.
- Design pensé pour le réemploi : les produits sont conçus pour être réparables, et certains modèles peuvent être repris et reconditionnés.
Ce qu’un dirigeant de PME peut en retenir :
- Le « déchet » de votre territoire peut devenir votre principal gisement de matière, à condition de structurer la collecte.
- Le local peut être un argument commercial puissant… mais seulement si les preuves sont visibles (traçabilité, partenariats, chiffres simples à communiquer).
- Travailler avec des ateliers d’insertion ou ESAT permet de sécuriser une capacité de production tout en répondant à des obligations sociales (ex : sous-traitance partielle pour les entreprises soumises à l’OETH).
Question pratique : dans votre activité, quels sont les « déchets » récurrents (vôtres ou de vos fournisseurs/clients) qui finissent systématiquement à la benne et pourraient être transformés en produits ou composants ? Listez-en 3 dès maintenant.
Uzaje : l’industrialisation du réemploi des contenants alimentaires
Uzaje a développé des centres de lavage industriels pour les contenants alimentaires réemployables : bocaux, bouteilles, bacs, vaisselle réutilisable… Sa clientèle : restauration collective, traiteurs, industriels agroalimentaires, grandes et moyennes surfaces qui veulent sortir du tout jetable.
Leur innovation n’est pas technologique au sens classique (laver de la vaisselle n’a rien de révolutionnaire), mais logistique et organisationnelle.
Ce qu’ils ont mis en place :
- Des hubs de lavage régionaux : plutôt que d’avoir une usine géante au milieu du pays, Uzaje déploie des unités proches des bassins de consommation pour limiter transports et coûts.
- Un modèle B2B très clair : ils vendent un service (lavage + logistique + conseils) plutôt qu’un simple « passage en machine ».
- Standardisation des contenants : ils poussent leurs clients à converger vers certains formats pour améliorer la productivité et réduire les casses.
Résultat : là où chacun lavait sa vaisselle dans son coin, avec des équipements peu optimisés, Uzaje mutualise la fonction « nettoyage » à l’échelle d’un territoire. Le tout avec un effet environnemental et économique double : moins de déchets, et des coûts maîtrisés dans le temps.
Ce que vous pouvez transposer :
- Regardez vos « fonctions de support » (lavage, réparation, entretien, stockage) : lesquelles pourraient être mutualisées à l’échelle locale avec d’autres entreprises ?
- Posez-vous la question : qu’est-ce qui est vraiment stratégique à garder en interne, et qu’est-ce qui pourrait devenir un service partagé, mieux fait et plus rentable ?
- Si vous êtes déjà dans un métier de service, comment le penser « à l’échelle du territoire » plutôt qu’à l’échelle d’un seul client ?
Astuce opérationnelle : commencez par un mini-groupement informel avec 2 ou 3 entreprises voisines pour tester une mutualisation (collecte, entretien, logistique). Mesurez les coûts avant/après pendant 3 mois.
Les Alchimistes : composter les biodéchets en ville et fermer la boucle
Les Alchimistes collectent les biodéchets auprès de restaurants, cantines, commerces alimentaires et entreprises, puis les compostent à proximité, souvent en cœur de ville ou en périphérie immédiate. Le compost est ensuite revendu à des agriculteurs, maraîchers, collectivités, ou utilisé sur place.
Pourquoi c’est intéressant du point de vue d’un dirigeant :
- Ils transforment une contrainte réglementaire en opportunité : l’obligation de tri des biodéchets devient un levier commercial. Les clients sont d’abord en recherche de conformité, puis découvrent un service de proximité.
- Ils travaillent à « l’échelle quartier » : un seul site peut traiter les biodéchets de plusieurs dizaines de structures, avec un maillage logistique optimisé (tournées courtes, formats adaptés aux rues urbaines).
- Ils créent un produit final valorisable : le compost, vendu localement, ferme la boucle et renforce la dimension circulaire.
Leur modèle repose sur une bonne compréhension de trois réalités :
- les obligations réglementaires (tri à la source, interdiction d’incinérer certains flux, etc.) ;
- les contraintes terrain des restaurateurs (temps, place, fréquence de collecte) ;
- la demande en amendements organiques de qualité chez les agriculteurs et collectivités.
Comment vous inspirer de cette approche :
- Identifiez les nouvelles obligations réglementaires de votre secteur : peuvent-elles devenir la base d’une nouvelle offre de service à valeur ajoutée ?
- Cartographiez les acteurs de votre territoire qui génèrent le même « flux » que vous (déchet, donnée, énergie, chaleur, espace, transport) : un modèle circulaire viable naît souvent de la masse critique locale.
- Demandez-vous systématiquement : « qui pourrait être preneur du sous-produit de mon activité à moins de 30 km ? »
Extramuros : le mobilier professionnel en matériaux de réemploi
Extramuros, en région parisienne, conçoit et fabrique du mobilier professionnel (bureaux, tables, aménagements intérieurs) à partir de matériaux de réemploi et de chutes industrielles : bois, panneaux, métaux, anciens mobiliers démontés.
Leur promesse : des aménagements sur-mesure, design, avec une traçabilité des matériaux et un impact environnemental quantifié.
Leur approche de la production locale circulaire :
- Partenariats avec des gisements de déchets identifiés : grandes entreprises qui renouvellent leurs bureaux, acteurs du bâtiment, industriels avec surplus de matériaux.
- Capacité de design intégrée : des designers travaillent directement avec les matériaux disponibles, et non l’inverse. On ne commande pas une référence de catalogue, on part du gisement.
- Transparence sur l’empreinte : pour chaque projet, des indicateurs sont partagés : kg de matériaux réemployés, CO₂ évité, etc. Ces chiffres deviennent des outils commerciaux pour les clients.
Ce modèle bouscule le réflexe classique : « je conçois d’abord, j’achète ensuite la matière adéquate ». Extramuros fait l’inverse : « voici la matière disponible localement, que peut-on concevoir avec elle ? ».
Quelques pistes pour votre activité :
- Et si votre futur lancement de produit partait de la matière disponible (vos stocks dormants, vos rebuts, les invendus de vos fournisseurs) plutôt que d’un cahier des charges théorique ?
- Vos clients B2B sont souvent en quête de preuves concrètes pour communiquer sur leur impact : pouvez-vous, comme Extramuros, intégrer quelques indicateurs simples (matière évitée, km de transport économisés, % de réemploi) dans vos devis ou bilans de projet ?
- Pouvez-vous intégrer le démontage ou la reprise de vos anciens produits dans votre offre, pour alimenter un futur gisement de matière ?
La Gentle Factory : mode circulaire et industrialisation en circuit court
La Gentle Factory, née dans l’écosystème textile du Nord de la France, s’est développée autour d’un pari simple mais ambitieux : prouver qu’on peut produire des vêtements durables, en grande partie en France ou en Europe proche, à partir de matières recyclées ou biologiques, tout en restant compétitif.
Leur modèle combine plusieurs leviers circulaires :
- Utilisation de fibres recyclées (coton, polyester) intégrées dans leurs collections, souvent issues de chutes ou de vêtements en fin de vie.
- Travail avec un réseau d’ateliers locaux : tricotage, teinture, confection répartis sur un nombre limité de partenaires avec lesquels ils construisent du volume dans la durée.
- Transparence produit par produit : origine du fil, du tricotage, de la confection… chaque étape est mise en avant, ce qui renforce la valeur perçue malgré un prix supérieur à la fast fashion.
Au-delà de l’image de marque, ce qui est intéressant pour un chef d’entreprise :
- Ils ont fait le choix de standardiser une partie de leurs modèles pour sécuriser des séries, tout en laissant une marge de créativité sur certains produits.
- Ils capitalisent sur un écosystème existant (savoir-faire textile régional) plutôt que de tout reconstruire à zéro à l’étranger.
- Ils utilisent la circularité (matières recyclées, production locale) comme un argument central de différenciation prix/valeur.
Dans votre propre écosystème :
- Y a-t-il des savoir-faire « historiques » en train de disparaître dans votre région que vous pourriez réactiver ou intégrer (menuiserie, mécanique, textile, agro, etc.) ?
- Pouvez-vous simplifier votre offre (moins de références, plus de volumes par référence) pour passer des accords de production plus stables avec des partenaires locaux ?
- Votre storytelling intègre-t-il vraiment la dimension territoriale et circulaire, ou est-ce encore cantonné à une page « engagement » que personne ne lit ?
5 enseignements transverses pour lancer (ou accélérer) votre propre démarche
En croisant ces 5 exemples, on retrouve toujours les mêmes briques opérationnelles. Vous n’avez pas besoin de tout copier, mais vous pouvez vous en servir comme grille de lecture pour vos propres projets.
1. Partir d’un gisement ou d’un problème, pas d’une « bonne idée verte »
- La Vie est Belt part des pneus usagés.
- Uzaje part des montagnes de contenants jetables et de la vaisselle à laver.
- Les Alchimistes partent des biodéchets rendus obligatoires à trier.
- Extramuros part des gisements de mobilier et de panneaux voués à la benne.
- La Gentle Factory part des chutes textiles et des circuits de production dormants.
Action concrète : listez les 3 plus gros « irritants » ou gaspillages dans votre activité (matière, temps, énergie, surface, transport) et cherchez comment en faire le point de départ d’un nouveau service ou produit.
2. Construire un modèle économique avant de communiquer
Aucune des PME citées ne s’est contentée d’une posture « green » sans modèle :
- elles facturent des services clairs (collecte, transformation, lavage, conception, fabrication) ;
- elles sécurisent des contrats récurrents (B2B, collectivités, grands comptes) ;
- elles pilotent leurs coûts comme n’importe quelle société « classique ».
Action concrète : avant de lancer un nouveau projet circulaire, formalisez un mini business plan très simple :
- vos 3 principaux postes de coûts ;
- votre prix cible (ou fourchette) ;
- le seuil minimal de clients / volume pour atteindre l’équilibre.
3. Travailler en écosystème local plutôt qu’en solo
Toutes ces PME sont profondément interconnectées à leur territoire :
- partenariats avec des ateliers d’insertion, des ESAT, des coopératives ;
- contrats avec des restaurateurs, industriels, collectivités, bailleurs ;
- ancrage dans des réseaux (pépinières, clusters, associations professionnelles).
Action concrète : identifiez 5 acteurs clés de votre territoire avec lesquels vous ne travaillez pas encore (ou peu) mais qui partagent vos flux (matière, déchets, clients finaux). Proposez-leur un rendez-vous pour explorer des synergies très concrètes.
4. Rendre l’impact mesurable et utile commercialement
Les meilleurs modèles ne se contentent pas de « faire du bien », ils permettent de mesurer ce bien :
- kg de déchets évités ;
- km de transport économisés ;
- emplois locaux créés ;
- taux de matières recyclées ;
- nombre de contenants réutilisés, etc.
Ces chiffres deviennent des arguments commerciaux pour leurs clients, qui peuvent les intégrer dans leurs propres rapports ou communications.
Action concrète : choisissez 2 indicateurs d’impact maximum (simples à suivre) et commencez à les mesurer dès maintenant, même si votre démarche n’est pas « parfaite ». Les courbes de progression parlent souvent plus que les chiffres absolus.
5. Accepter de démarrer petit, tester, ajuster
Aucune des PME citées n’avait un modèle parfaitement verrouillé au départ. Elles ont testé :
- un quartier, puis une ville ;
- un type de client, puis plusieurs ;
- un matériau, puis d’autres ;
- un atelier partenaire, puis un réseau.
Action concrète : concevez un pilote très limité (en durée, en périmètre géographique, en nombre de clients) sur un projet circulaire. Fixez dès le départ :
- la durée du test (ex : 3 à 6 mois) ;
- les 3 indicateurs que vous allez suivre (coûts, temps, satisfaction client, impact) ;
- les critères qui permettront de décider : on amplifie, on ajuste, ou on arrête.
Et maintenant, que faites-vous dès demain matin ?
Si vous avez lu jusqu’ici, vous n’avez pas besoin d’un énième discours sur « l’urgence climatique » ou « la rareté des ressources ». La vraie question, c’est : que pouvez-vous enclencher concrètement dans votre entreprise dans les 30 prochains jours ?
Voici une feuille de route minimaliste, mais actionnable :
- Jour 1 à 7 : cartographiez vos principaux flux (matière, énergie, déchets, transports) et notez ce qui vous choque ou vous coûte le plus.
- Jour 8 à 15 : rencontrez 3 acteurs de votre territoire (fournisseurs, clients, acteurs de l’insertion, collectivité, autre PME) pour confronter vos constats et vérifier s’ils ont les mêmes irritants.
- Jour 16 à 30 : choisissez un seul projet pilote de circularité (réemploi, mutualisation, transformation de déchet en ressource, allongement de la durée de vie produit) et définissez un plan de test très simple.
Les 5 PME présentées ne sont pas des exceptions miraculeuses réservées à quelques secteurs « tendance ». Elles illustrent une chose : lorsqu’on regarde ses process avec des lunettes « économie circulaire + territoire », de nouvelles lignes de revenus et de nouveaux avantages compétitifs apparaissent.
La question n’est plus de savoir si l’économie circulaire va s’imposer. Elle est déjà en train de redessiner les chaînes de valeur. La vraie question, c’est : à quel endroit de cette nouvelle chaîne votre PME veut-elle se positionner ?


