Les robotaxis, ce n’est plus de la science-fiction. À Phoenix ou San Francisco, des milliers de trajets s’effectuent déjà chaque jour sans chauffeur, via Waymo ou des services chinois. En France, les expérimentations se multiplient à Lyon, Rouen, Toulouse ou sur des sites privés. Pour l’instant, cela reste marginal… mais les briques technologiques, réglementaires et économiques sont en train de s’aligner.
La question pour une PME ou une collectivité locale n’est donc plus « est-ce que ça va arriver ? », mais plutôt : « quand, et comment s’y préparer pour en tirer un avantage concret ? »
Dans cet article, on va laisser de côté les discours futuristes pour se concentrer sur ce qui vous intéresse vraiment : les usages, les modèles économiques, les risques et, surtout, ce que vous pouvez commencer à faire dès maintenant.
Où en est réellement le robotaxi en 2025 ?
Avant de parler stratégie, posons le décor. Le robotaxi, c’est un service de transport de personnes opéré par des véhicules autonomes (généralement de niveau 4, c’est-à-dire sans conducteur dans certaines zones et conditions).
À l’international, on observe déjà des déploiements commerciaux :
- Aux États-Unis, Waymo opère des robotaxis à Phoenix et San Francisco, avec plusieurs dizaines de milliers de trajets par semaine.
- En Chine, Baidu et AutoX testent et commencent à monétiser des services de robotaxis dans plusieurs grandes villes.
- En Europe, des acteurs comme Navya (France), EasyMile ou des constructeurs automobiles testent des navettes autonomes sur des trajets définis (zones d’activités, campus, quartiers pilotes).
En France, le cadre réglementaire progresse : depuis 2022, la loi permet la circulation de véhicules autonomes dans certaines conditions, sous l’œil des préfectures et avec une logique d’expérimentation encadrée. On est encore loin d’un Uber sans chauffeur généralisé, mais les premières briques se mettent en place sur :
- Des navettes autonomes sur sites fermés (zones industrielles, aéroports, campus hospitaliers).
- Des lignes régulières en milieu urbain ou périurbain, souvent en partenariat avec les collectivités et les opérateurs de transport.
- Des projets pilotes de « derniers kilomètres » en complément des bus et tramways.
Pour une PME ou une collectivité, l’enjeu n’est donc pas d’acheter demain une flotte de Tesla sans volant, mais de comprendre comment intégrer ces nouveaux services dans un écosystème de mobilité existant.
Pourquoi les robotaxis concernent directement les PME et les collectivités
À première vue, on pourrait croire que les robotaxis, c’est l’affaire des géants de la tech et des métropoles. En réalité, les premiers cas d’usage rentables se trouvent souvent dans des contextes beaucoup plus modestes : zones d’activités, parcs industriels, petites villes, territoires peu denses.
Pour une PME, les enjeux sont très concrets :
- Améliorer la mobilité des salariés sur des sites mal desservis par les transports publics.
- Réduire le coût des navettes internes (entre plusieurs sites, entre une gare et une usine, etc.).
- Attirer et fidéliser les talents en proposant des solutions de mobilité modernes et pratiques.
- Réduire l’empreinte carbone liée aux déplacements domicile-travail.
Pour une collectivité locale, les robotaxis sont un levier potentiel pour :
- Offrir un service de transport à la demande dans les zones peu denses, là où un bus classique tourne à vide.
- Désengorger certains axes en facilitant le covoiturage et les trajets partagés autonomes.
- Expérimenter des solutions de mobilité innovantes sans exploser les budgets de fonctionnement.
- Renforcer l’attractivité économique d’une zone d’activités ou d’un centre-ville.
La vraie question n’est donc pas « est-ce que les robotaxis vont remplacer les bus ou les VTC ? », mais plutôt « où et comment peuvent-ils compléter intelligemment l’offre existante ? »
Trois cas d’usage à fort potentiel pour les entreprises
Pour rendre les choses concrètes, voici trois scénarios où les robotaxis ou navettes autonomes peuvent créer de la valeur pour une PME ou un regroupement d’entreprises.
1. Navette autonome entre une gare et une zone d’activités
Cas classique : une zone d’activités située à 5–8 km d’une gare, mal desservie en bus. Résultat : difficulté à recruter, salariés dépendants de la voiture, parkings saturés.
Scénario possible :
- Mise en place d’une navette autonome à faible vitesse sur un itinéraire défini, entre la gare et la zone d’activités, en partenariat avec la collectivité et un opérateur de mobilité.
- Financement partagé entre la collectivité (intérêt général, désenclavement), les entreprises de la zone (attractivité RH) et éventuellement un opérateur privé.
- Réservation via une app ou une plateforme de mobilité intégrée (type MaaS) avec des horaires adaptés aux prises de poste.
À la clé : baisse du besoin de places de parking, élargissement du bassin d’emploi, réduction des émissions.
2. Navette interne sur site industriel ou logistique
Autre cas fréquent : un site étendu (usine multi-bâtiments, entrepôt XXL, zone portuaire ou aéroportuaire) où les déplacements internes en véhicule sont nombreux, peu optimisés et chronophages.
Scénario possible :
- Déploiement d’une petite flotte de véhicules autonomes circulant sur un circuit interne (site fermé, routes privées, environnement maîtrisé).
- Utilisation pour transporter les équipes entre parkings, ateliers, bureaux, restauration ou vestiaires.
- Intégration avec les badges / SIRH pour mesurer les flux et ajuster les horaires et fréquences.
C’est typiquement le type de projet où la technologie est déjà mature, avec un ROI plus facilement calculable : réduction du temps non productif, de l’usage de véhicules individuels, des risques d’accident sur site.
3. Service de mobilité partagée entre plusieurs PME d’une même zone
Dans une zone artisanale ou un parc d’activités, chaque entreprise gère généralement sa mobilité dans son coin. Résultat : inefficience maximale.
Scénario possible :
- Groupement de plusieurs PME pour cofinancer un service de transport partagé (navette autonome sur certains créneaux, VTC à d’autres, transport à la demande le soir).
- Gestion déléguée à un opérateur de mobilité ou à une startup locale, avec un engagement contractuel sur les volumes de trajets.
- Possibilité d’ouvrir le service au grand public sur certains créneaux pour améliorer le modèle économique.
Ce type de montage commence à apparaître dans quelques territoires pilotes et peut bénéficier d’aides régionales, de subventions européennes ou de dispositifs de transition écologique.
Et pour les collectivités : des robotaxis au service des territoires peu denses
Les zones rurales et périurbaines sont souvent les grandes oubliées de la mobilité. Un bus qui passe deux fois par jour ne répond plus aux besoins des actifs, des jeunes ni des seniors. Dans ce contexte, le robotaxi peut devenir un outil intéressant, à condition de ne pas le voir comme une baguette magique.
Deux types de dispositifs se dessinent :
- Transport à la demande autonome sur des créneaux précis (heures de pointe, marché, sorties d’école), avec réservation obligatoire.
- Petites lignes régulières opérées en navette autonome sur des trajets courts, comme une « épine dorsale » connectée à un car ou un train.
Exemple typique : une communauté de communes qui met en place un service test de navettes autonomes entre un pôle de santé, une maison de services au public, un supermarché et un arrêt de car régional. L’objectif n’est pas de remplacer le réseau de bus, mais de garantir un minimum de mobilité aux habitants non motorisés, à coût maîtrisé.
Pour être pertinent, ce type de projet doit répondre à quelques critères simples :
- Un besoin avéré (enquêtes auprès des habitants, des entreprises, des associations).
- Un périmètre maîtrisé (distance, complexité des intersections, flux de trafic).
- Un montage financier qui sécurise les coûts sur 3 à 5 ans.
- Une coopération forte avec un opérateur expérimenté et la préfecture.
Quels modèles économiques réalistes à horizon 5–10 ans ?
Sans modèle économique viable, le robotaxi restera une vitrine technologique. Aujourd’hui, les coûts restent élevés : véhicule, capteurs, supervision à distance, assurance, infrastructure numérique. Mais plusieurs leviers peuvent rendre un projet crédible pour une PME ou une collectivité.
On voit émerger trois grands modèles :
- Le modèle « service complet » : un opérateur fournit le véhicule, la technologie, la maintenance et la supervision, facturés au kilomètre ou au mois. C’est le modèle le plus simple pour une PME ou une collectivité, qui achète un service et non une flotte.
- Le modèle « co-investissement » : la collectivité ou un groupement d’entreprises cofinance l’infrastructure (arrêts, signalisation, aménagements, data), tandis que l’opérateur porte la technologie et la flotte, avec un partage des recettes.
- Le modèle « expérimentation subventionnée » : sur 2 à 3 ans, le projet est largement financé par des subventions (État, région, Europe, programmes de recherche), avec l’objectif d’évaluer l’impact avant généralisation.
Pour une PME, l’enjeu est d’éviter de porter seule le risque. En pratique, cela veut dire :
- Se regrouper (zone d’activités, cluster, association d’entreprises).
- Travailler systématiquement avec la collectivité locale (mobilité = intérêt général).
- Ne pas hésiter à intégrer d’autres services dans le projet : logistique urbaine, livraison de petits colis, navettes touristiques le week-end, etc.
Plus le véhicule peut « tourner » sur différents usages et créneaux, plus le modèle économique devient soutenable.
Freins, risques et idées reçues à lever dès maintenant
Tout n’est pas rose, loin de là. Ignorer les risques serait une erreur de pilotage. Les principaux freins aujourd’hui sont :
- Le cadre réglementaire : chaque expérimentation doit être validée au cas par cas, avec un dossier technique et de sécurité lourd. Il faut compter plusieurs mois.
- L’acceptabilité sociale : méfiance envers les véhicules sans chauffeur, peur pour la sécurité, questions sur l’emploi des conducteurs.
- La maturité technologique : en environnement complexe (centre-ville dense, météo difficile, routes non standardisées), la technologie n’est pas encore aussi robuste qu’un conducteur humain.
- Le coût réel : tant que les volumes restent faibles, les coûts unitaires restent élevés.
Quelques idées reçues méritent aussi d’être corrigées :
- « Le robotaxi va supprimer tous les emplois de chauffeurs » : dans les 10 prochaines années, les déploiements resteront ciblés. De nouveaux métiers apparaissent (supervision à distance, maintenance, analyse de données).
- « C’est trop compliqué pour une petite ville ou une PME » : justement, les premiers cas d’usage viables sont souvent des trajets simples, répétitifs, sur de petites distances, typiques des sites industriels ou des petites collectivités.
- « Il faut attendre que tout soit prêt » : ceux qui expérimentent dès maintenant auront une longueur d’avance pour négocier, adapter leurs infrastructures et capter les aides.
Comment une PME ou une collectivité peut-elle se préparer dès maintenant ?
Vous n’allez probablement pas signer un contrat de robotaxi demain matin. En revanche, vous pouvez dès maintenant poser les bases pour être prêt dans 2 à 5 ans. Voici une feuille de route pragmatique.
1. Cartographier les besoins de mobilité
- Identifier les principaux flux : salariés, clients, visiteurs, sous-traitants.
- Mesurer les distances, les temps de trajet, les coûts (navettes actuelles, taxis, remboursements, parkings).
- Repérer les « irritants » : horaires mal adaptés, manque d’offre, difficulté de recrutement liée à la mobilité.
2. Prioriser 1 ou 2 scénarios pilotes simples
- Un trajet court, répété, avec un flux régulier (gare – site, parking – usine, pôle de services – centre-ville).
- Un environnement maîtrisable (peu d’intersections complexes, vitesses modérées).
- Un périmètre où l’impact économique et social serait visible rapidement.
3. Identifier des partenaires potentiels
- Opérateurs de transport locaux, startups de mobilité, intégrateurs technologiques.
- Collectivité territoriale (commune, intercommunalité, région) : services mobilité, aménagement, développement économique.
- Clusters, pôles de compétitivité, associations d’entreprises de votre zone.
4. Construire un dossier « prêt pour financement »
- Décrire le besoin, le scénario, les bénéficiaires, les impacts attendus (emploi, CO₂, attractivité).
- Évaluer un budget prévisionnel sur 3 ans (CAPEX, OPEX, coûts d’étude).
- Identifier les guichets potentiels : ADEME, région, programmes européens, appels à projets mobilité / innovation.
5. Travailler l’acceptabilité dès le départ
- Associer les salariés, les habitants, les commerçants, les associations à la réflexion.
- Tester d’abord des démonstrations ponctuelles (événements, portes ouvertes, salons).
- Prévoir un dispositif de feedback simple (questionnaires, ateliers, plateforme en ligne).
En procédant de cette façon, vous transformez un sujet perçu comme « futuriste » en projet structuré, finançable et pilotable.
Robotaxis : une opportunité à saisir de manière sélective
Les robotaxis ne vont pas, du jour au lendemain, transformer tous les déplacements dans votre territoire ou votre entreprise. En revanche, sur des segments bien choisis – navettes internes, liaisons courtes, zones mal desservies – ils peuvent devenir un levier concret de performance économique, sociale et environnementale.
La clé, pour une PME comme pour une collectivité locale, n’est pas de devenir expert en LIDAR ou en algorithmes de conduite autonome. La clé, c’est de bien connaître ses besoins de mobilité, de savoir les chiffrer, de s’entourer des bons partenaires et de se positionner suffisamment tôt pour capter les expérimentations et les financements qui vont se multiplier.
En résumé : ne vous demandez pas « quand les robotaxis seront partout », demandez-vous : « sur quel trajet précis, dans mon écosystème, une navette autonome pourrait avoir un impact mesurable d’ici 3 ans ? » C’est par ces projets ciblés que l’avenir du transport de personnes pour les PME et les collectivités locales va se construire, bien plus que par les grandes annonces des géants de la tech.


