Si vous dirigez une PME, vous avez sûrement déjà entendu parler de « domaine d’activité stratégique » (DAS)… et vous avez peut-être rangé ça dans la case « jargon de consultant ». Pourtant, bien identifier vos DAS peut changer très concrètement votre manière de piloter l’entreprise : choix d’investissements, priorités commerciales, recrutement, innovation… Tout devient plus clair.
La bonne nouvelle : vous n’avez pas besoin d’un schéma compliqué ou d’un rapport de 80 pages. Avec quelques questions bien posées, un tableau Excel et vos chiffres, vous pouvez cartographier vos activités et isoler vos DAS clés en quelques heures.
Pourquoi parler de DAS quand on dirige une PME ?
Dans beaucoup de PME, tout est mélangé :
Résultat :
C’est exactement ce que les DAS permettent d’éviter. Un domaine d’activité stratégique, c’est une « brique » cohérente de votre activité, avec :
En pratique, raisonner en DAS vous aide à :
DAS, de quoi parle-t-on concrètement ?
Oublions la théorie deux minutes. Un DAS, dans une PME, c’est généralement une combinaison :
Quelques exemples concrets :
Une entreprise de nettoyage professionnel peut avoir :
Un éditeur de logiciel B2B peut avoir :
Dans chaque cas, on voit bien :
Si vous pilotez tout ça comme un bloc unique, vous mélangez des activités qui n’ont pas besoin des mêmes décisions… et vous prenez des arbitrages biaisés.
Quatre questions simples pour cartographier vos activités
Pour identifier vos DAS, on va commencer très simplement, avec quatre questions. Prenez une feuille ou un fichier, et pour chaque activité / offre que vous avez en tête, répondez à :
Vous verrez naturellement se dessiner des blocs qui se ressemblent et d’autres qui se distinguent franchement. Ces blocs sont vos candidats à devenir des DAS.
Un bon test : si vous deviez confier une activité à un autre dirigeant en lui disant « Tu t’occupes de ça comme si c’était ta mini-entreprise dans l’entreprise », comment découperiez-vous ? Ce sont souvent vos DAS.
Méthode pas à pas pour identifier vos DAS clés
Passons à une méthode opérationnelle, adaptée à une PME. Vous pouvez la faire seul, mais c’est souvent plus riche avec votre responsable commercial, votre DAF ou vos chefs de service.
Étape 1 : Lister toutes vos activités génératrices de chiffre d’affaires
Étape 2 : Regrouper les activités qui partagent le même « couple marché / besoin »
Exemple : deux logiciels très différents techniquement, mais tous deux vendus à des artisans pour simplifier leur gestion quotidienne, peuvent relever du même DAS.
Étape 3 : Tester si deux activités appartiennent au même DAS
Posez-vous ces questions :
Si vous répondez « oui » à la plupart de ces questions, vous êtes probablement dans le même DAS. Si c’est plutôt « non », vous êtes face à deux DAS différents.
Étape 4 : Mettre des chiffres derrière chaque DAS
Une fois vos DAS identifiés (en général 3 à 6 dans une PME, rarement plus de 8), créez un petit tableau et renseignez :
Ce travail demande parfois quelques retraitements comptables, mais même une estimation grossière est très utile pour dégager les tendances. L’objectif n’est pas la précision au centime près, mais la visibilité.
Exemple concret : une PME industrielle qui découvre ses vrais moteurs
Illustrons avec une PME industrielle de 45 salariés, spécialisée dans la fabrication de pièces métalliques. Dans la comptabilité, tout est regroupé sous « fabrication / pièces usinées ».
En travaillant avec le dirigeant, nous avons identifié 3 DAS clairement distincts :
Clients : équipementiers auto
Logique : gros volumes, marges faibles, pression sur les prix
Ventes : appels d’offres, commerciaux dédiés.
Clients : fabricants de machines spéciales
Logique : volumes moyens, forte exigence qualité
Ventes : relationnel, visites régulières, co-conception.
Clients : jeunes entreprises innovantes
Logique : faible volume, marges élevées, réactivité
Ventes : bouche-à-oreille, présence sur salons, site web.
Quand on a ventilé les chiffres :
Le dirigeant s’est rendu compte que toute son énergie allait sur les appels d’offres automobiles (DAS 1), car c’étaient les plus gros montants… alors que la création de valeur était surtout dans les DAS 2 et 3.
Les décisions qui en ont découlé :
Tout ça n’est pas issu d’un modèle académique, mais simplement du fait de regarder l’entreprise par DAS, avec des chiffres à l’appui.
Comment prioriser vos DAS pour votre stratégie
Une fois vos DAS identifiés, l’étape suivante est de choisir où mettre le curseur : que développer, que sécuriser, que transformer, que laisser décliner.
Un outil simple et efficace consiste à évaluer chaque DAS selon deux axes :
Pour l’attractivité du marché, posez-vous des questions comme :
Pour votre position concurrentielle :
Sans faire de matrices sophistiquées, vous pouvez déjà classer vos DAS en 3 catégories :
C’est ce classement qui va nourrir votre plan d’action à 12–24 mois.
Utiliser les DAS pour piloter au quotidien
Identifier vos DAS n’a pas d’intérêt si cela reste dans un fichier qu’on ouvre une fois par an. L’enjeu, c’est d’en faire un outil de pilotage au quotidien.
Concrètement, vous pouvez :
CA, marge, nombre de nouveaux clients, taux de churn, panier moyen…
L’idée : voir rapidement quel DAS tire la performance globale, et lequel décroche.
Heures commerciales, budget marketing, investissements machines, R&D…
Chaque arbitrage devient plus clair quand on se demande : « Sur quel DAS agit-on ? »
Dans certaines PME, il est très efficace de nommer des « responsables de DAS », même si c’est à temps partiel : un référent qui suit les chiffres, les concurrents, la satisfaction clients sur son périmètre.
Au lieu de « faire de l’innovation » en général, vous pouvez vous demander : « Quel DAS a besoin d’une nouvelle offre, d’un nouveau service, d’un nouveau modèle tarifaire ? »
Vous passez d’une vision floue (« le business va bien / va mal ») à une vision fine : tel DAS explose, tel autre ralentit, tel autre est en train de s’éteindre. Et vos décisions deviennent mécaniquement plus pertinentes.
Erreurs fréquentes à éviter quand on parle de DAS
Dans les PME, je vois souvent les mêmes pièges revenir. Les connaître permet déjà de les éviter.
Deux gammes différentes peuvent relever du même DAS si elles s’adressent aux mêmes clients, via les mêmes canaux, pour les mêmes usages.
Au-delà de 6–7 DAS, le pilotage devient lourd. Mieux vaut regrouper intelligemment que micro-segmenter pour le plaisir de la granularité.
Une segmentation purement « marketing » sans données de CA et de marge débouche rarement sur des décisions concrètes. Mieux vaut des données approximatives que pas de données du tout.
Si vos équipes commerciales, vos process et vos outils sont radicalement différents entre deux activités, c’est un signe fort que vous êtes face à deux DAS distincts.
Les DAS ne sont pas gravés dans le marbre. Un DAS peut émerger, se transformer ou disparaître. Un bilan annuel par DAS est un bon réflexe.
Par où commencer dès cette semaine ?
Si vous voulez passer de la théorie à l’action, voici une feuille de route très concrète, réalisable en quelques demi-journées.
Prenez 1 à 2 heures avec un ou deux collaborateurs clés (commerce, finance, opérationnel). Listez vos principales activités génératrices de CA et répondez aux 4 questions : que vend-on, à qui, pour quel besoin, par quels canaux.
Regroupez ce qui va ensemble. Donnez un nom à chaque bloc (exemple : « PME services récurrents », « Grands comptes projets », « Export distributeurs », etc.).
Pour chaque bloc, estimez : part du CA (%), marge approximative, tendance (en croissance / stable / en baisse). Même des chiffres « à la louche » sont acceptables pour ce premier passage.
Classez vos blocs en : à investir, à optimiser, à réduire. Demandez-vous : « Si je devais concentrer 20 % d’efforts supplémentaires sur deux blocs seulement, lesquels choisirais-je ? »
Par exemple :
– Revoir la politique tarifaire sur un DAS peu rentable.
– Lancer un mini-plan de prospection ciblé sur le DAS prioritaire.
– Geler certains investissements sur un DAS en déclin.
Le but n’est pas de produire un document parfait, mais d’obtenir rapidement une grille de lecture plus fine de votre entreprise. Vous pourrez ensuite affiner les chiffres, détailler les plans d’action et impliquer plus largement vos équipes.
En résumé : le concept de domaine d’activité stratégique n’est pas réservé aux grands groupes. C’est un outil très concret pour clarifier la réalité de votre business, choisir vos batailles et allouer vos ressources là où elles ont le plus d’impact. Une fois que vous aurez goûté au pilotage par DAS, revenir à une vision « globale » de votre activité vous paraîtra étonnamment flou.


